A noter sur votre agenda : Conférence sur le Marxisme par Monsieur Christian SAVES
Le 9 décembre à 18h00
17 rue Charles de Rémusat à Toulouse
(Entrée libre)
Christian Savés : Doctorat en Sciences politiques, habilitation à diriger des recherches. Ancien élève de l’E.N.A. Politologue. Haut fonctionnaire. Activités d’enseignement et de recherche. Ancien directeur des études à l’E.N.A .
Le destin du marxisme
L’ambition de cet essai est d’appréhender la trajectoire socio-historique du marxisme de façon sereine et non partisane, à présent que le temps a passé et que les passions (longtemps portées à incandescence par les acteurs) sont retombées. Il y a bien un destin du marxisme, au sens que Malraux donnait à ce mot… mais à une différence (notable) près : dans son cas, ce n’est pas la mort qui transforme la vie en destin mais bien la postérité sans équivalent qui fut la sienne, qui a transformé son existence en un destin sans équivalent… même si, au final, il fut peu enviable et n’est donc guère envié aujourd’hui, avec le recul de l’Histoire qui nous a instruits à grands frais.
Son destin ou, si l’on préfère, sa tragédie, se joue en trois actes :
premier acte : c’est le marxisme de Marx, c’est-à-dire celui des origines, du père-fondateur. Il s’agit d’évoquer ce que Marx a pensé et conçu par lui-même, avec l’aide de son fidèle ami Engels. Cette pensée, puissante et novatrice, se proposait de faire table rase de toute l’antériorité philosophique et d’aller au contact du réel avec toute son âme, pour mieux le changer et, même, le transfigurer, en faisant révolution… mais une révolution qui n’était pas seulement une révolution de l’esprit en acte : elle était, tout autant, une révolution économique, sociale, politique, au final.
Il ne faut cependant pas se méprendre, sur sa pensée comme, hélas, beaucoup l’ont fait. Marx lui-même avait dit qu’il n’était pas marxiste : avant Nietzsche, il se méfiait des « faiseurs de système » et cherchait à les éviter. Il était marxien et ne voulait surtout pas être marxiste car il avait vraisemblablement pressenti ce que ceux qui se disaient « marxistes » risquaient de faire de sa pensée… et les conséquences pratiques qui en découleraient, pour ses semblables.
C’est là-dessus que se joue le premier acte de la tragédie ;
deuxième acte : c’est le marxisme après Marx ou, si l’on préfère, au-delà de Marx. Marx disparu, les marxistes ont pris le pouvoir intellectuel (avant de prendre le pouvoir politique) et imposé leur lecture/interprétation de la pensée du grand philosophe allemand. Il n’était plus là pour les contredire, les contrarier, dissiper les tragiques équivoques. Or, comme l’avait si bien vu Raymond Aron, les équivoques d’une doctrine, loin de freiner son succès et sa diffusion, l’amplifient. On est alors passé du singulier au pluriel : du marxisme aux marxismes et, même, aux « marxismes imaginaires ».
Dès lors, il n’y avait plus de marxiens mais seulement des marxistes. Chacun se construisit un marxisme à sa mesure, de plus en plus éloigné de Marx (et, partant, de moins en moins fidèle à la pensée des origines), mais sur la base duquel chacun développa une vision de plus en plus univoque et, au final, dogmatique, de la société, du devenir social. L’ère (et l’heure) était aux déformations du marxisme.
C’est là dessus que se joue le second acte de la tragédie ;
troisième acte : avec l’entrée en scène de Lénine, le marxisme de Marx va être victime d’une instrumentalisation politique sur la base de laquelle se construira l’imposture bolchevique. Mais, celle-ci va avoir la vie dure et, face à elle, les intellectuels auront les « paupières lourdes ». En fait de « révolution » un pays, la Russie, qui avait servi de « banc d’essai » va subir un martyre sans de « révolution » un pays, la Russie, qui avait servi de « banc d’essai » va subir un martyre sans précédent dans l’Histoire. Lénine, l’Antéchrist, n’aura fait qu’inventer une religion sacrificielle, précédent dans l’Histoire. Lénine, l’Antéchrist, n’aura fait qu’inventer une religion sacrificielle, dans sa forme la plus tératologique qui soit, le bolchevisme. Inventeur et praticien du totalitarisme, tout à la fois, il a ainsi ouvert l’ère du pire. tout à la fois, il a ainsi ouvert l’ère du pire.
Le réel et les hommes seront malaxés, malmenés, mutilés, sacrifiés, par millions… et pour rien, en définitive. Aux perspectives de Salut, le bourreau aura tôt fait de substituer celles de la damnation, d’une damnation éternelle.C’est là-dessus, sur cette mutilation et le formidable gâchis humain et politique qu’elle représente, que se joue le troisième et dernier acte de la tragédie, en forme d’acte manqué.
En définitive, le destin confisqué, le destin contrarié et même brisé du marxisme de Marx, c’est d’avoir vu son oeuvre lui échapper, reprise par des apprentis-sorciers sans états d’âmes et sans scrupules, qui furent à l’origine d’une coupure métapolitique, entre le marxisme de Marx et le bolchevisme, ce qui signifie que cette coupure était à la fois métaphysique et politique, donc radicale. Pourtant, trop longtemps, la cécité ou le parti-pris des uns et des autres va faire que le procès en suspicion totalitaire, instruit contre le bolchevisme, rejaillira sur le marxisme de Marx, qui en subira l’opprobre.
Rendu aphasique, donc inaudible, le marxisme de Marx ne sera plus en situation de présenter sa défense, de façon efficace et convaincante, devant le tribunal de l’Histoire.
Ainsi, la tragédie était-elle définitivement consommée et le sort du marxisme cruellement scellé. Mais à quoi bon pleurer sur un destin volé ? Le marbre froid et lisse de l’Histoire n’absorbe pas les larmes, il les laisse couler…
Christian SAVES